Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Nice et Villefranche

Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Nice et Villefranche

Texte écrit dans le cadre du projet européen de la « Navigation du Savoir - Réseau des arsenaux historiques de la Méditerranée »

Table

Les origines de l’Ordre

Dès la fin du IX° siècle, alors que depuis cinq cents ans déjà les pèlerins se rendent aux Lieux Saints, des moines et des marchands d’Amalfi obtiennent du Calife la concession, dans le quartier latin de Jérusalem, d’un terrain situé à proximité du Saint-Sépulcre, à l’emplacement actuel de la mosquée d’Omar. Ils y édifient une église, un couvent et un hospice où des moines, venus d’Italie, prodiguent des soins aux pèlerins et aux malades, tant chrétiens qu’autochtones.

La conquête de Jérusalem, en 1099, lors de la croisade des barons, dirigée par Godefroy de Bouillon, conduit à la fondation du royaume latin de Jérusalem, qui garantit l’accès au tombeau du Christ. L’afflux de pèlerins est alors tel que, pour assurer leur sécurité, une partie des frères hospitaliers, sous l’autorité du bienheureux Gérard Tenque, originaire, dit-on, de Martigues en Provence (et dont les reliques sont conservées à Manosque), deviennent « moines soldats », et fondent l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem dont la règle sera approuvée par le pape Pascal II en 1113.

Pour les Italiens, qui revendiquent aussi ses origines, le frère Gérard serait né dans le village de Tonco, non loin d’Asti. Mais cette croyance, tout comme d’ailleurs pour le nom de Tenque, proviendrait d’une mauvaise transcription de la phrase latine « Gerardus tunc Hospitale regebat » dans laquelle l’adverbe "tunc" ("alors" en Français) aurait été traduit par Tonco. Pour la petite histoire, les dépliants touristiques de Tonco continuent à perpétuer cette croyance. Il n’en reste pas moins que le Piémont, et la région d’Asti en particulier, pourtant dépourvue de tout accès à la mer, tiendront un rôle important dans l’histoire de l’Ordre, en lui fournissant pas moins de 43 ou 44 amiraux, sur un total de 240, soit plus de 20%.

Afin d’être reconnaissables, les chevaliers Hospitaliers portaient une soubreveste rouge ou noire, à la croix latine blanche.

La naissance de l’Ordre

En raison de l’efficacité de son action, l’Ordre obtient, dans le système féodal de l’époque, d’importants privilèges qui sont à l’origine de sa souveraineté et reçoit en Europe de nombreuses donations qui ont constitué un réseau de commanderies, source de moyens permettant l’entretien de ses missions. Celles-ci sont constituées de terres offertes ou léguées à l’Ordre par de généreux donateurs, et confiées en commande à des Commandeurs qui ont l’obligation d’accueillir et de soigner les pèlerins et malades nécessiteux dans des dépendances aménagées en auberges et dispensaires.

A Nice, son établissement fut facilité par l’évêque Pierre qui, en 1135, donna au légat Arnald une terre « ad honorem Dei et Jehrosolimitani ospitalis » et, en 1141, une église au Plan de Gast, à Roquebillière, dans la vallée de la Vésubie (Cartulaire de l’ancienne cathédrale de Nice, ch. 34 et 52). A l’origine probablement une fondation templière, l’église Saint-Michel de Gast sera en grande partie reconstruite en 1533. C’est la plus importante église qui ait fait partie des biens de l’Ordre dans les Alpes-Maritimes.

En 1163, Guillaume Rufus donne à l’église de Saint-Jean quatre setiers de terre à Nice, au quartier Longchamp, près du lieu dénommé Paradis et en 1185, les consuls Pierre et Guigues Ricardi et Foulque Bernardi cèdent à l’hôpital de Saint-Jean, pour le prix de 75 livres royales, une terre au Var.

La création d’une organisation hospitalière internationale

Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Nice et Villefranche
Texte écrit dans le cadre du projet européen de la « Navigation du Savoir - Réseau des arsenaux historiques de la Méditerranée »

Les origines de l’Ordre


Dès la fin du IX° siècle, alors que depuis cinq cents ans déjà les pèlerins se rendent aux Lieux Saints, des moines et des marchands d’Amalfi obtiennent du Calife la concession, dans le quartier latin de Jérusalem, d’un terrain situé à proximité du Saint-Sépulcre, à l’emplacement actuel de la mosquée d’Omar. Ils y édifient une église, un couvent et un hospice où des moines, venus d’Italie, prodiguent des soins aux pèlerins et aux malades, tant chrétiens qu’autochtones.

Statue de Gérard Tenque, église de Jonquières (Martigues)

La conquête de Jérusalem, en 1099, lors de la croisade des barons, dirigée par Godefroy de Bouillon, conduit à la fondation du royaume latin de Jérusalem, qui garantit l’accès au tombeau du Christ. L’afflux de pèlerins est alors tel que, pour assurer leur sécurité, une partie des frères hospitaliers, sous l’autorité du bienheureux Gérard Tenque, originaire, dit-on, de Martigues en Provence (et dont les reliques sont conservées à Manosque), deviennent « moines soldats », et fondent l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem dont la règle sera approuvée par le pape Pascal II en 1113.

Pour les Italiens, qui revendiquent aussi ses origines, le frère Gérard serait né dans le village de Tonco, non loin d’Asti. Mais cette croyance, tout comme d’ailleurs pour le nom de Tenque, proviendrait d’une mauvaise transcription de la phrase latine « Gerardus tunc Hospitale regebat » dans laquelle l’adverbe "tunc" ("alors" en Français) aurait été traduit par Tonco. Pour la petite histoire, les dépliants touristiques de Tonco continuent à perpétuer cette croyance. Il n’en reste pas moins que le Piémont, et la région d’Asti en particulier, pourtant dépourvue de tout accès à la mer, tiendront un rôle important dans l’histoire de l’Ordre, en lui fournissant pas moins de 43 ou 44 amiraux, sur un total de 240, soit plus de 20%.

Afin d’être reconnaissables, les chevaliers Hospitaliers portaient une soubreveste rouge ou noire, à la croix latine blanche.

Prise de Jérusalem par les Croisés, le 15 juillet 1099
Peinture de Emil Signol, Musée du Château, Versailles
La naissance de l’Ordre
En raison de l’efficacité de son action, l’Ordre obtient, dans le système féodal de l’époque, d’importants privilèges qui sont à l’origine de sa souveraineté et reçoit en Europe de nombreuses donations qui ont constitué un réseau de commanderies, source de moyens permettant l’entretien de ses missions. Celles-ci sont constituées de terres offertes ou léguées à l’Ordre par de généreux donateurs, et confiées en commande à des Commandeurs qui ont l’obligation d’accueillir et de soigner les pèlerins et malades nécessiteux dans des dépendances aménagées en auberges et dispensaires.

A Nice, son établissement fut facilité par l’évêque Pierre qui, en 1135, donna au légat Arnald une terre « ad honorem Dei et Jehrosolimitani ospitalis » et, en 1141, une église au Plan de Gast, à Roquebillière, dans la vallée de la Vésubie (Cartulaire de l’ancienne cathédrale de Nice, ch. 34 et 52). A l’origine probablement une fondation templière, l’église Saint-Michel de Gast sera en grande partie reconstruite en 1533. C’est la plus importante église qui ait fait partie des biens de l’Ordre dans les Alpes-Maritimes.

L’église Saint-Michel de Gast, à Roquebillière (A.-M.)
En 1163, Guillaume Rufus donne à l’église de Saint-Jean quatre setiers de terre à Nice, au quartier Longchamp, près du lieu dénommé Paradis et en 1185, les consuls Pierre et Guigues Ricardi et Foulque Bernardi cèdent à l’hôpital de Saint-Jean, pour le prix de 75 livres royales, une terre au Var.

La création d’une organisation hospitalière internationale
Le 2 octobre 1187, après d’âpres combats au cours desquels le grand-maître Roger des Moulins tombe glorieusement à la tête de ses chevaliers, Saladin enlève Jérusalem aux chrétiens. Les hospitaliers se replient alors sur Tyr puis sur Margat, actuellement en Syrie, puis sur Acre, devenu Saint-Jean d’Acre où ils édifient un hôpital semblable à celui de Jérusalem.

Un siècle plus tard, en 1291, les Sarrasins s’emparent de Saint-Jean d’Acre, dernier bastion chrétien en Terre Sainte. Grâce à leurs galères ancrées dans le port, les Hospitaliers peuvent gagner l’île de Chypre. Afin de rester à proximité de la Terre Sainte pour en défendre l’accès, protéger les pèlerins et assurer la libre circulation en Méditerranée, ils décident de s’installer sur l’île de Rhodes qu’ils enlèvent aux pirates ottomans en 1308 (ou 1310).

Désormais maîtres des lieux, l’Ordre instaure une république aristocratique dirigée par le grand-maître, assisté du Conseil, frappant monnaie et entretenant des relations diplomatiques avec d’autres états. Dans le même temps il organise l’administration de ses biens en Europe en regroupant ses commanderies et prieurés à l’intérieur de huit régions appelées Langues : ce sont celles de Provence, Auvergne, France, Italie, Aragon-Navarre, Castille-Léon-Portugal, Angleterre et Allemagne, cette dernière englobant tous les états d’Europe centrale.

L’ensemble se subdivise en vingt-deux prieurés et en dix-neuf bailliages, le tout comprenant quelques six cents commanderies. Les revenus produits par les exploitations assurent l’entretien des domaines, les bénéfices sont collectés pour le trésor général de l’Ordre. La langue de Provence, la plus ancienne, fut aussi la plus représentée dans l’Ordre. Elle possédait deux grands prieurés, Saint Gilles et Toulouse, qui regroupaient plus de soixante commanderies à la fin du XVIII° siècle. Chaque commanderie a l’obligation d’accueillir et de soigner les pèlerins et malades nécessiteux dans des dépendances aménagées en auberges et dispensaires.

Jusqu’en 1388, sous la domination des Angevins, le comté de Nice est rattaché à la langue de Provence. Mais après la dédition à la Savoie, Nice passe à la langue d’Italie dont le « pilier » a la charge de Grand Maréchal, commandant des forces terrestres et est responsable de la défense de Rhodes.

En 1312, cinq ans après la confiscation de leurs biens par le roi de France Philippe le Bel et l’arrestation des Templiers, le pape Clément V dissout l’Ordre du Temple par la bulle Ad providam Christi Vicari. Tous les biens templiers sont attribués à l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, pour compenser les pertes qu’il a subi en Terre Sainte, ce qui lui permet d’augmenter considérablement le nombre de ses commanderies en France.

Reconvertis en marins, les Hospitaliers vont, pendant deux siècles, développer une puissante flotte de galères et traquer l’ennemi partout où il se trouvait. Très redoutées, les « galères de la Religion » vont écumer sans relâche la Méditerranée, en véritables « gendarmes » de la Méditerranée. Mais elles s’adonnaient aussi volontiers à la guerre de course, attaquant les bateaux de commerce (parfois chrétiens) dont elles s’appropriaient les marchandises et capturaient les équipages pour les enrôler sur leurs galères.

Avec l’avènement de Mehmed II à la tête de l’Empire ottoman en 1453 et la prise de Constantinople qui porte le coup de grâce à l’Empire chrétien d’Orient, les Turcs consacrent alors tous leurs efforts maritimes contre les Hospitaliers. A l’aube du 23 avril 1480, cent cinquante bâtiments turcs embarquant cent mille hommes se présentent au large de l’île de Rhodes, défendue par le grand-maître Pierre d’Aubusson. Après quatre mois de siège, ayant perdu près de vingt-cinq mille hommes, les Turcs sont battus par une flotte hispano-napolitaine venue au secours de Rhodes.

Un prince turc à Villefranche

Malgré cet échec, le sultan Mehmed II, à la fin de sa vie, était à la tête d’un immense empire dont la capitale, Constantinople, avait maintenant pris le nom d’Istanbul. Mehmed II avait plusieurs fils dont Bayazid (Bazajet) et Djem, son cadet, dont il avait décidé qu’il lui succèderait. Mais il meurt le 3 mai 1481, sans que soit réglé sa succession.

Djem et Bayazid entrèrent alors dans une guerre fratricide pour la conquête du pouvoir. Le 22 juin, lors de la bataille opposant les deux armées, celle de Djem fut défaite, l’un des siens l’ayant trahi. Bayazid proposa à Djem des arrangements financiers s’il renonçait au trône, ce qu’il refusa. Sa vie désormais en danger, Djem dut fuir et demanda aide aux chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers de Rhodes, espérant trouver grâce à eux un appui auprès du roi de France, Louis XI, contre Bayazid.

Les chevaliers de Rhodes accueillirent avec bienveillance la requête de Djem, lui faisant parvenir un sauf-conduit revêtu du sceau du grand maître, Pierre d’Aubusson, qui le reçut avec toute la considération due à son rang et le logèrent en vrai souverain.

Bayazid comprit qu’il fallait traiter avec les Hospitaliers et Djem se retrouva au centre d’un marché de dupes : en même temps que le grand maître signait un pacte secret avec le sultan, il en proposait un autre, également secret, à Djem, en vue de l’éventualité de son avènement au trône. Bayazid promettait de verser chaque année aux Hospitaliers 35 000 ducats vénitiens et 10 000 ducats pour les dommages et préjudices occasionnés par son père à la Commanderie. Il s’engageait en outre envers l’Ordre d’ouvrir à ses navires tous les ports de la Turquie, à rendre la liberté, sans rançon, chaque année, à 300 captifs. De leur côté, les chevaliers s’engagent à veiller à ce qu’aucun complot ne soit ourdi contre Bayazid. Une fois en possession de ces deux traités, le grand maître ne songea plus qu’à mettre en lieu sûr son hôte, devenu son prisonnier. Il lui représenta qu’il courait trop de dangers à Rhodes et le pressa de se laisser conduire en Europe, jusqu’au moment où il pourrait efficacement conquérir l’Empire. Le prince musulman, ignorant cette combinaison, fut embarqué en grande pompe le 1er septembre 1482, à bord de la flotte des Chevaliers et débarqua à Villefranche le 15 octobre, en compagnie du prince de Lombardie, Merlo di Prozzalco, du grand prieur d’Auvergne, Guy de Blanchefort, futur grand maître de l’Ordre et de quelques officiers.

Ce fut pour la population, écrit Buffon, un spectacle curieux et nouveau de voir cet illustre captif, accompagné d’une foule d’esclaves, étaler le faste du luxe oriental. On pourra en juger par une chronique manuscrite de Cuneo, retranscrite par Gioffredo : « au début de cette année [1783], on put voir à Cuneo, venant de Nice, le sultan Giaume, fils de feu le Grand Seigneur Mahomet II, accompagné de 40 cavaliers turcs et d’autant de cavaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui le tenaient sous leur protection. De là, en passant par Savigliano, il se rendit auprès du roi de France ou du duc de Savoie. »

Quoique enfermé dans le château de Nice, on lui laissa une certaine liberté. Steinbrück, dans son Recueil d’Etudes sur Nice, p. 251, indique que ce prince, qui se piquait de littérature, composa, pendant son séjour, deux vers turcs, où il fait allusion à la beauté du climat et à sa qualité de prisonnier. La traduction en serait la suivante : « Ah ! quelle ville admirable que Nice. On y demeure en dépit du caprice » ou encore : « Nice délicieuse au séjour tout charmant, on te quitte à regret, peut-on faire autrement ? »

Mais Djem ne restera pas longtemps à Nice car commence pour lui un long exil. Prétextant que la peste s’était déclarée dans la région, les Chevaliers de Rhodes emmenèrent l’infortuné prétendant à Rumilly, en Savoie, puis dans la Marche qui, à l’écart des grandes voies de communication, apparaissait mieux adaptée à sa sécurité aux yeux de Pierre d’Aubusson. Ce dernier confia donc à son neveu, Guy de Blanchefort, le soin de conduire Djem à Bourganeuf (Creuse), siège du grand prieuré de la Langue d’Auvergne, où il vécut jusqu’en 1489.

Le prince Djem est décrit « comme d’aspect physique imposant et royal, très savant dans les lettres anciennes et prompt aux réparties spirituelles et mordantes ». Durant son séjour à Bourganeuf, il aurait eu une idylle avec la nièce de Guy de Blanchefort, Hélène de Sassenage, que son physique et ses talents de poète ne laissaient pas indifférente mais aussi avec sa fille, Marie de Blanchefort, laquelle aurait été empoisonnée par Almeida, la favorite jalouse du sultan, qui se pendra à l’une des fenêtres du château.

L’exil de Djem se poursuivra en 1488, en Italie, auprès du Pape Innocent VIII qui envisageait de lancer une nouvelle croisade contre les Turcs et qui espérait utiliser Djem pour lutter contre son frère Bajazet. Après accord avec le roi de France Charles VIII, Pierre d’Aubusson accepte de livrer son prisonnier et envoie un détachement de 200 hommes pour protéger le précieux transfert. Le 10 novembre, l’escorte quitte Bourganeuf pour Toulon. En reconnaissance, Pierre d’Aubusson reçut du pape le chapeau de cardinal et le titre de légat-général du Saint-Siège en Asie.

Escorté de 400 hommes et autant de chevaux, Djem s’embarque à Toulon à bord d’une galère des chevaliers à destination de Civita-Vecchia, port de Rome, dans les Etats Pontificaux. Reçu en mars 1489, avec les honneurs dus à un souverain, le pape lui accorde un appartement au Vatican. Innocent VIII ayant placé sa pièce maîtresse sur l’échiquier politique, va pouvoir réaliser son projet de croisade. Il écrit aux souverains européens que le prince prétendant, s’il recouvre son trône, retirera les Turcs de Constantinople et des rives asiatiques. Ce projet décide Bajazet à supprimer son frère renégat par l’intermédiaire de Cristofano de Castrano, dit Magrino, qui devait empoisonner l’eau de la fontaine du Belvédère, destinée à la table de Djem. Le projet fut éventé en mai 1490 et Magrino fut pendu.

En 1492, à Innocent VIII succède Alexandre VI Borgia, peu fait pour être pape, à la vérité. Il entretient d’excellentes relations avec Djem, sort à cheval avec lui dans la campagne romaine, l’accepte dans les processions pontificales, vêtu à l’orientale. Ce nouveau pape ambitieux et peu religieux abandonne le projet de croisade européenne qui est repris par le roi Charles VIII. Ce dernier, venant revendiquer un héritage lointain, débutait victorieusement la série des guerres d’Italie et souhaitait à son tour détenir Djem avant de s’embarquer vers Constantinople. Devant les victoires françaises, Alexandre VI négocie secrètement avec Bajazet la vie de l’infortuné Djem. De sombres tractations ont lieu dont une (qui n’est pas admise par tous les historiens) qui aboutit « à enlever Djem aux misères de cette terre » moyennant 300 000 ducats. Toujours est-il que Charles VIII, entré en vainqueur à Rome le 31 décembre 1494, devenait le nouveau maître de Djem.

Peu de temps après, poursuivant son entreprise, Charles VIII se dirige vers Naples, avec son prisonnier, mais pas pour longtemps. En effet, l’ancien captif de Bourganeuf n’a été remis aux Français que pour mourir mystérieusement. On connaît la réputation (en partie justifiée) des Borgia pour les crimes au poison, au point que Commynes n’hésite pas à affirmer que Djem a été « baillé empoisonné » ! De là à accuser indirectement le pape, son fils César Borgia qui a escorté un temps le prince, un envoyé de Bajazet ou le barbier Mustafa qui aurait empoisonné son rasoir, il n’y a qu’un pas ! Les suppositions allèrent, et vont toujours bon train. Peut-être n’est-il mort que des suites de sa captivité ? Djem est mort en 1495, à trente-six ans et son frère Bajazet est désormais débarrassé de son encombrant rival, d’autant que la croisade chrétienne est tombée à l’eau temporairement. Notons que le sultan mourra empoisonné par son fils Sélim le Cruel en 1512. Juste retour des choses !

Les caraques de l’Ordre

L’ordre de Saint Jean de Jérusalem a possédé plusieurs navires connus sous le nom de Grande Caraque ou de Grande Nave (la Nau de Rodi) dont le Saint-Jean Baptiste, mentionné pour la première fois en 1482. Pour sa part, Buffon écrit que c’est à Nice, en 1489 que « fut construit, pour les chevaliers de Rhodes, le Saint-Jean qui, à cette époque était le plus grand navire connu. »

La Santa-Maria

Le 13 septembre 1507, le chevalier Jacques de Gastinau, commandeur du Limousin, qui avait pris le commandement du Saint-Jean Baptiste s’empara par la ruse du navire amiral du sultan d’Egypte, réputé imprenable. Rebaptisée Santa-Maria, elle devint le navire amiral de l’Ordre et remplacement de la Grande Nave jugée trop vieille.

La Reine des Mers embarque 1 200 hommes d’équipage encadrés par 1 000 soldats chargés de la défense. Ce quatre mâts doté de sept ponts défendus par 120 canons est entièrement construit en bois de chêne, de cèdre et de teck, chevillé de cuivre. Aussi fin marin que bon stratège, de Gastinau s’approche du grand bâtiment profitant d’un office religieux sur le pont de son bâtiment qu’il laisse dériver. Il rejoint ensuite ses compagnons limousins dotés comme lui d’un solide appétit et d’une gaillarde humeur pour déguster un grand bol de vin de Chypre cuit avec des épices.
Malgré l’approche de la grande caraque, le Commandeur fait réciter une courte prière aux chevaliers et demande au chapelain du navire, interloqué, de donner l’absolution. Après quelques palabres, le chapelain accepte d’outrepasser ses droits. Le bâtiment des chevaliers est parvenu à proximité de la caraque qui poursuit sa route sans prêter attention au navire de l’Ordre. Celui-ci manœuvre au plus près et coupe la route du grand bâtiment l’obligeant à ralentir. Le Commandeur délègue deux ambassades successives auprès du capitaine de la Caraque, surtout pour atténuer sa vigilance. Lors du deuxième rendez vous, celui-ci est stupéfait d’entendre de Gastinau lui demander de se rendre. Bien entendu, il refuse et couvre les chevaliers de sarcasmes et d’injures. Etant au plus près du gigantesque bateau sous les lignes de ses canons, les chevaliers débutent une canonnade, tuant net le capitaine turc. Profitant de la surprise et de la confusion les chevaliers lancent les grappins d’abordage. Paniqués, les marins égyptiens préfèrent se rendre plutôt que d’être taillés en pièces, et, sous bonne garde, amènent leur bâtiment et sa très riche cargaison dans le port de Rhodes. »

Moins romancé est le récit qu’en fait Joseph Muscat : Gastinau donne l’ordre à tous les canons d’un seul bord de tirer ensemble sur le navire maure. Le bruit de la canonnade fut à lui seul suffisant pour effrayer les marins ennemis qui cessèrent le combat aussitôt.

Réarmée par les chevaliers et rebaptisée Santa Maria, cette nouvelle Grande Nave fit longtemps régner la terreur sur la mer. Elle servit de quartier général à l’Ordre pendant ses pérégrinations à travers toute la Méditerranée, après la chute de Rhodes et fut désarmée peu après son arrivée à Malte. Elle fut alors utilisée comme magasin et pour héberger les esclaves dont les chevaliers s’étaient emparés à Modon

La Santa Maria connut une fin tragique : après qu’un jeune esclave soit monté clandestinement à bord pour dérober de la poudre à canon, lorsque soudain une violente explosion se produisit dans le magasin à poudre. Le pont entier avec les esclaves qui se trouvaient à bord fut emporté jusqu’au milieu du port et que le reste de la coque s’embrasa. Plusieurs des canons se mirent à tirer d’eux-mêmes leurs boulets qui vinrent semer la terreur sur les bateaux alentours. Pour éviter une plus grande catastrophe, un puissant canon du château Saint-Ange tenta de la détruire, sans succès. Il fallut la remorquer au large pour qu’elle finisse par couler.

La Santa Anna

La caraque Sainte-Anne, destinée à remplacer la Santa Maria, était un navire encore plus puissant et de taille bien plus importante. Ironie de l’histoire, elle fut lancée à Nice le 21 décembre 1522, le jour même de la prise de Rhodes par les Turcs du sultan Soliman qui en chassent les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Cette caraque, avec ses six ponts, fut le navire le plus important jamais possédé par l’Ordre et était réputé comme le plus merveilleux navire de son temps. Bien que ses deux ponts inférieurs soient situés en dessous de la ligne de flottaison, le sommet du mât principal d’une galère n’arrivait qu’à un mètre en dessous de sa poupe. Son grand mât était si énorme qu’il fallait six hommes pour en faire le tour. A bord se trouvait une chapelle spacieuse, dont certains panneaux qui la décoraient sont encore visibles dans la galerie des musiciens du palais du grand maître de l’Ordre à La Valette[2]. Sa salle de réception et les quartiers où dormaient les chevaliers étaient si vastes et confortables qu’ils ressemblaient aux pièces similaires d’un palais royal[3]. Tout autour des galeries de la poupe il y avait un petit jardin avec des arbres et des plantes et où les chevaliers pouvaient prendre quelque temps de repos. Elle possédait un moulin que l’on tournait à la main et un four où le pain était cuit chaque jour - chose inconnue sur tous les autres navires de l’époque.

Un navire de cette taille, avec un équipage de 500 hommes, nécessitait plusieurs charpentiers à bord. De même qu’une forge qui fonctionnait jour et nuit occupait trois forgerons. Il y avait suffisamment de nourriture et de boisson à bord pour pouvoir rester six mois en mer sans avoir à se ravitailler. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Sainte-Anne était à la fois rapide et très manœuvrante. Elle était parfaitement adaptée aux vents faibles et changeants de la Méditerranée.

La Sainte Anne possédait 50 gros canons à bord et de nombreux plus petits répartis tout autour de la coque. Son artillerie était ce qui se faisait de mieux[4]. Pour servir ces canons il y avait, entre autres, les bombardiers maltais qui avaient acquis une solide réputation pour leur adresse. La Sainte Anne pouvait affronter jusqu’à 50 galères à la fois[5].

Cette caraque était recouverte de plomb en dessous de la ligne de flottaison, ce qui rendait la coque parfaitement étanche[6], une technique révolutionnaire jamais encore imaginée par les autres puissances maritimes. Ainsi, les Anglais ne commenceront à revêtir leurs navires de cuivre que seulement 200 ans plus tard[7]. Les bordés de la Sainte Anne étaient si épais qu’ils ne furent jamais percés par un boulet ennemi[8]. Le capitaine Windus, de l’escadre anglaise stationnée aux Indes, signale à l’Institut archéologique de Londres, le 7 février 1862, que la caraque Sainte Anne des chevaliers de Malte était le premier navire de guerre cuirassé pour résister aux projectiles de son époque, donc précédant de deux siècles l’adoption moderne du fer et de l’acier. La Sainte Anne, dit-il, était couverte de métal et parfaitement résistante aux tirs de canons. Apparemment, le capitaine Windus a quelque peu exagéré sa description de la caraque ou alors a mal interprété Bosio qui a écrit qu’elle était revêtue de plomb uniquement pour la rendre étanche à l’eau et non aux boulets. Si tel avait été le cas, les chevaliers auraient revêtu toute la coque[9]. Ce qui ne fait aucun doute c’est qu’il n’y avait à l’époque aucun navire capable de l’affronter et encore moins de la couler. La Sainte Anne devait procurer une impression extraordinaire lorsqu’elle rentrait au port. Ses mats s’élevaient jusqu’aux bastions tandis que ses voiles, lorsqu’elles n’étaient pas ferlées recouvraient et cachaient le fort Saint Ange. Ses sculptures peintes[10] et une multitude de drapeaux de toutes formes, tailles et couleurs offraient un spectacle exceptionnel tandis qu’un orchestre jouait à bord pour annoncer une nouvelle campagne victorieuse[11].

La Sainte Anne disposait de grandes embarcations avec 15 bancs de rameurs et cinq autres plus petites. Toutes, à l’exception d’une des deux grandes étaient embarquées à bord. L’autre grande embarcation, probablement une brigantine, était remorquée. Ces bateaux, brigantines ou caïques, étaient souvent utilisés pour attaquer les galiotes turques. Les brigantines étaient suffisamment grandes pour embarquer un demi-canon à la poupe et deux à la proue. Un navire de ce type prit part à l’attaque de La Goulette[12].

Personne n’aurait pu imaginer qu’un navire aussi majestueux, la merveille de l’Occident, aurait eu une carrière aussi courte. En 1540, 18 ans après son lancement, le Grand-maître Juan d’Omedes ordonna de démonter ses canons et tout son armement et la navire lui-même fut laissé à l’abandon[13].

Les campagnes victorieuses de la Sainte Anne apportèrent beaucoup d’honneurs à son capitaine, Fra Francesco de Cleremont. Ce qui avait rendu d’Omedes jaloux, au point de vouloir détruire de Cleremont en lui retirant son bateau. C’est ainsi que d’Omedes ordonna la construction d’une nouvelle caraque pour un autre capitaine. En fait aucun autre navire de ce type ne fut construit car remplacé par deux galions. Tous les chroniqueurs s’accordent pour dire que d’Omedes était détesté par tout le monde, aussi bien les Maltais que les chevaliers eux-mêmes. C’était un vieillard colérique et orgueilleux, sans scrupules et un véritable psychopathe. Cependant, l’Ordre connut à cette époque des difficultés financières due à la confiscation de ses biens en Angleterre par Henry VIII et l’abandon de la Sainte Anne apparut comme une mesure d’économie. Le navire était aussi trop grand pour pénétrer dans le port de Tripoli, autre possession de l’Ordre et la décision de retirer la Sainte Anne fut prise lors du chapitre général de 1540[14].

  • Notes
  • [1] G. Bosio, 22. Historia della Sacra Religione et Illustrissima Militia di S. Giovanni Giersolmitano, Venise, 1695. Il y avait tellement de feux et de fumées sur le chantier de la Sainte Anne qu’aucun des ouvriers qui travaillait à bord ne fut touché par l’épidémie qui sévissait alors dans la ville.
  • [2] Ibid., 150. Voir aussi E.W. Schermerhorn, Malta of the Knights (Surrey, 1929), 113.
  • [3] P.J. Taurisano, Antologia del Mare, Dalle opere del P. Guglielmonti (Florence, 1913), 198.
  • [4] Bosio, iii, 150.
  • [5] Ibid., 114.
  • [6] Ibid., 150.
  • [7] F.C. Bowen, From Carrack to Clipper (London, 1948), 20.
  • [8] Bosio, iii, 150.
  • [9] Les Byzantins utilisaient un revêtement de plomb pour protéger les coques contre les attaques des tarets et la pourriture : voir H. Frost, Under the Mediterranean (London, 1963), 234, 235.
  • [10] Schermerhorn, 113.
  • [11] Bosio, iii, 150.
  • [12] Bosio, iii, 150.
  • [13] Bosio, iii, 150.
  • [14] Ibid., 254. Voir aussi Muscat, La Caraque, pp. 15-28.

La chute de Rhodes

En 1520 Soliman accède à la tête du vaste Empire Ottoman légué par Sélim Ier. Quelques mois plus tard, Philippe Villiers de l’Isle-Adam est élu grand maître de l’Ordre contre le chancelier et grand prieur de la langue de Castille, André d’Amaral. Battu, ce dernier aurait conçu de se venger en livrant Rhodes à Soliman. En se rendant à Rhodes, au départ de Marseille, le nouveau grand maître fait une escale à Villefranche, à bord de la grande caraque de l’Ordre.

Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, fils cadet sans grand avenir d’une famille noble du comté de Beaumont, au nord de Paris, est admis à dix huit ans dans l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Elu en 1519 grand prieur de France et en 1521, grand maître de l’Ordre, il est le héros de toute la chrétienté lorsque après un terrible siège par les Ottomans de plus de six mois, abandonné par toute l’Europe, il quitte Rhodes en 1523 avec le reste de son armée sous le regard admiratif de son vainqueur Soliman le Magnifique. Après avoir joué un rôle décisif dans la libération de François Ier, emprisonné en Espagne après la défaite de Pavie en 1529, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam obtient l’année suivante de l’empereur Charles Quint le droit de gouverner en pleine suzeraineté l’Ile de Malte.

Le 28 juin 1522, reprenant le plan de Sélim Ier, dit le Féroce, Soliman le Magnifique se présenta devant Rhodes à la tête de 200 000 hommes qu’il avait fait embarquer à bord de 400 bâtiments. De son côté Villiers de l’Isle-Adam ne disposait que de 600 chevaliers et 4 500 écuyers et servants d’arme. Après cinq mois d’attaques incessantes, Soliman s’apprêtait à lever le siège, après avoir sacrifié quatre-vingt mille hommes et lancé sur la ville quelque quatre-vingt mille boulets, quand la trahison du grand chancelier d’Amaral lui permit d’emporter la place. Contraint de capituler, le grand maître Villiers de l’Isle-Adam fit sauter les églises afin qu’elles ne soient pas profanées, puis envoya le chevalier Petrucci négocier avec Soliman.

L’héroïsme des Hospitaliers de Saint-Jean et des insulaires avait tant forcé l’admiration du sultan qu’il leur accorda les honneurs de la guerre et les laissa quitter l’île.

Lorsqu’il succède à son père, en 1520, Soliman (Sulayman) n’a que 25 ans. Son règne, exceptionnellement long (il meurt en 1566) correspond à l’age d’or de l’Empire ottoman. Il est dépeint comme un homme juste, sage, profondément religieux et d’une grande valeur morale. Le vocable « Le Magnifique », que lui décerne l’Occident ne s’applique pas seulement au faste de sa cour, et au rôle primordial qu’il joue dans l’épanouissement artistique et culturel de son époque, mais au personnage lui-même, à sa noblesse de caractère et à ses extra-ordinaires qualités d’homme et de chef d’Etat ; Sa lutte incessante contre Charles-Quint pour établir sa suprématie sur la Méditerranée et l’Europe de l’Est marquera tout le XVe siècle. C’est ainsi que naît la paradoxale alliance du roi très chrétien François Ier et du « Grand Seigneur » et que Français et Turcs participent à huit campagnes navales communes dont le siège de Nice en 1544-1545.

Le départ des chevaliers de Rhodes et leur séjour à Villefranche

Le Ier janvier 1523, les Chevaliers accompagnés de quatre mille Rhodiens qui refusaient le joug turc embarquèrent avec leurs archives, leurs reliques, leur trésor et leurs armes, à bord de trente vaisseaux dont la Santa Maria pour une longue errance. Il faisait, dit la chronique, un temps affreux.

En quittant Rhodes, les Chevaliers firent d’abord voile vers la Crète. Ils font escale à Candie le 5 janvier 1523, le temps de se compter et de reconstituer leur flotte. De là, ils font voile vers Messine, en Sardaigne, qu’ils atteignent le 30 avril, puis s’arrêtent à Baia le 22 juin et à Civitavecchia, le 7 juillet. De là, le grand maître Villiers de L’Isle Adam, demandera asile au pape Clément VII, ancien hospitalier, qui installera provisoirement l’Ordre à Viterbe (25 janvier 1524) tandis que ses galères restaient à Civitavecchia.

Dans une lettre du 25 décembre 1523, Clément VII supplie le duc de Savoie de recueillir et de rassembler les membres dispersés et errants de l’Ordre qui pourrait, de la sorte lutter efficacement contre les Musulmans. Le duc de Savoie, qui avait déjà rendu de grands services aux Chevaliers de Rhodes, ne tarda pas à leur être utile.

Il y avait alors, dans le port de Villefranche, écrit Gioffredo, les deux caraques de l’Ordre, qui étaient pourvues d’une très puissante artillerie. Charles Quint, le roi d’Angleterre, et Charles duc de Bourbon, devenu leur allié, avaient, dans le même temps, résolu d’envahir la Provence. Dans le cours de juin 1524, pendant que le connétable de Bourbon, à la tête de 25.000 Impériaux, arrivait dans les environs de Nice et s’arrêtait à Saint-Laurent-du-Var, la flotte impériale, commandée par Ugo de Moncada, Prieur de Messine, partait de Gênes avec un important matériel de guerre et les munitions, et arrivait en sûreté dans le port de Monaco. De son côté, la flotte française, commandée par Antoine de La Fayette, celui-ci assisté de André Doria, et composée de douze vaisseaux, dix galères, quatre grandes caraques, avec plusieurs galéons et galiotes, vint occuper la rade de Villefranche.

Dans la crainte que ces coalisés, comme aussi François Ier, ne s’emparent des caraques de l’Ordre pour augmenter leur flotte , le pape, pour permettre à l’Ordre de garder une stricte neutralité, avait dépêché en toute hâte à Villefranche Gonzalo Pimenta, Prieur du Portugal et Francesco Talis, Commandeur de la Vraie Croix, munis d’un bref demandant au duc de Savoie de désarmer et de démâter les deux caraques, et même de les « abattre en carène » afin de les rendre impropres à la navigation. Les capitaines de ces vaisseaux, Poncetto Durrè et Pierre de Cardinas, le premier provençal, l’autre espagnol, exécutèrent ponctuellement ces prescriptions .

En 1527, le chevalier Louis Del Pozzo, prieur de Pise, capitaine des galères de la religion, dont plusieurs avaient été armées à ses frais, partit de Rome, avec un sauf conduit du Pape, pour embarquer à Civitavecchia la « caravane » des chevaliers venus de Viterbo où se trouvait alors, comme on l’a vu, leur résidence. Là il reçu les instructions du Conseil de l’Ordre, qui lui enjoignit de naviguer vers l’île de Monte-Cristo et de se diriger ensuite en droiture sur Villefranche. Il lui était défendu de se rendre à Marseille, pour ne pas indisposer Charles Quint ou le roi de France.

La famille Del Pozzo (ou Dalpozzo comme l’indique une rue de Nice), originaire d’Alexandrie en Piémont, vint s’établir à Nice vers la fin du XIVème siècle où elle fit très vite fortune dans le commerce maritime. Leur fils, Paganino, devint célèbre sous le règne d’Amédée II. C’est en effet lui qui proposa d’ouvrir une route à travers les montagnes du comté pour le transport du sel en Piémont. C’était la route « paganine » ou « pagari ». Passant par Levens, Utelle, Lantosque et Saint-Martin, elle franchissait les Alpes au dessus de la Madone de Fenêtre par le « pas de pagari » (« Tant que Pagari pagara lou pas passara, quouro Pagari pagara plu lou pas passara plu », d’après un dicton bien connu dans la vallée de la Vésubie). Dans la vallée de la Roya, les gorges de Saorge portent aussi le nom de gorges de Paganin. La famille Del Pozzo compta plusieurs chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers, tant dans la langue de Provence que dans la langue d’Italie : une autre toile du palais Lascaris représente Pierre Del Pozzo, commandeur d’Avignon, en 1475.

De Nice, il devait dépêcher un Chevalier au Grand-Maître, alors en France, pour le supplier de venir s’embarquer à Villefranche. Villiers de l’Isle-Adam se rendit à cette invitation et prit la mer dans ce port, en emportant le trésor de la communauté, qui se trouvait en Provence. Mais il lui fut impossible de débarquer sur les côtes italiennes, ravagée par la peste. Alors en 1527, le Grand-Maître envoya Hercule de None comme ambassadeur auprès du duc de Savoie pour lui demander que l’Ordre ait sa résidence à Villefranche et à Nice, jusqu’à ce que l’île de Rhodes lui soit restituée. Le désir des Chevaliers, ajoutait-il, était d’armer le plus grand nombre de galères et de vaisseaux, pour lutter contre les corsaires musulmans qui, avec leurs galiotes et leurs bateaux, ne cessaient d’inquiéter la côte. A cet effet, il demandait qu’il soit fourni à l’Ordre, pour le service des galères, un certain nombre de forçats condamnés dans les Etats de Savoie. Il s’engageait en outre à observer la neutralité avec les puissances. Le duc de Savoie souscrivit volontiers à toutes ces demandes : il concéda même, en ce qui concernait les achats de denrées et de marchandises, des franchises analogues à celles des habitants, avec exemption de toutes redevances ; il exprima le désir que le chevalier Honoré Chiabaudo de Tourrettes fut chargé de l’administration de la justice sur les membres de l’Ordre.

A la suite de cette autorisation, le 8 octobre 1527, Villiers de l’Isle-Adam débarqua à Villefranche et habita avec sa famille une ancienne forteresse située au sommet du village, vers l’emplacement occupé en son temps par des capucins. Les chevaliers et les autres membres de la communauté logèrent dans la ville. Leur présence, les vaisseaux qu’ils firent construire, le mouvement qui s’ensuivit, tout contribua à donner au port un grand développement.

A l’angle Nord-Est de la muraille qui enfermait la cité de Villefranche, fut édifié, au tout début du XIVe siècle, un petit fort bastionné dont il ne reste aujourd’hui qu’une petite partie. Situé près du couvent des Capucins, ce fort aurait pu accueillir Philippe Villiers de l’Isle-Adam à son arrivée à Villefranche.

Le 14 novembre, le Grand-Maître quitta la forteresse de Villefranche et s’établit à Nice prés du puits de Mascoïnat.

Le 22 novembre de la même année, le Grand Maître apprend à Villefranche que de Lautrech, son grand ami, s’était emparé de Pavie ; il lui envoie son sénéchal, le révérend Pierre du Pont, pour le prier de faire restituer « à la religion » l’artillerie que le duc de Bourbon avait prise à une caraque de l’Ordre (qui se trouvait mouillée à Villefranche) et laissée à Pavie. De Lautrech restitua les canons.

A la fin de ce mois, Villiers avise les princes chrétiens de son installation et invite les Hospitaliers à le rejoindre à Nice, où ils arrivent tous les jours.

Pendant ce temps, la flotte de l’Ordre demeurait dans la Rade de Villefranche. Elle comprenait alors cinq galères ordinaires, dont trois de Rhodes et deux nouvelles construites à Villefranche et dénommées « Saint Jacques » et « Saint Philippe », deux caraques, un galion, le vaisseau « Marietta » de Rhodes, celui d’Antoine Bonaldi, avec trois barques et deux brigantins, sept cent soldats, presque tous Gascons. La présence de cette puissante flotte dans les eaux de Savoie eut comme conséquence immédiate de presser le duc Charles III à mettre un certain nombre de galères à Villefranche. Pour faire face à leurs constructions, ainsi qu’à leur entretien, il obtint du Pape Clément VII (par sa bulle du 7 février 1328), le droit de percevoir, pendant le délai de dix années, un ducat d’or pour cent, sur la valeur de toutes les marchandises débarquées à Nice ou à Villefranche.

La flotte de l’Ordre fut très utile au pays. Non seulement elle tenait éloignés des côtes les pirates africains mais, pendant la disette de 1528, elle fournit constamment des secours aux habitants affamés. Les navires ne restèrent pas inactifs dans la rade. Par ordre du Grand Maître, la caraque ancienne allait à Oran pour prendre des chargements de blé. La caraque neuve, sous la direction de Théodore Saluzzo, allait en Sicile, et revenait avec des vivres.

L’Ordre était sous l’autorité d’une seule puissance, le Saint Siège. Le Pape avait requis ses galères, pour conduire en Angleterre son légat, le cardinal Campeggio. Au retour de ce voyage, Gimel, commandant des galères, rencontra sur la côte de Marseille une galiote turque dont il s’empara et qu’il conduisit triomphalement à Villefranche. Le chef musulman qui la commandait fut pendu au grand mât de la caraque « Sainte Anne », afin de servir d’exemple. La chiourme des cinq galères de l’Ordre fut renforcée de 95 esclaves, pris parmi les prisonniers turcs et maures et la liberté fut donnée à 150 chrétiens.

Cependant, il était important, pour les Chevaliers, de reconstituer leur puissance, telle qu’ils l’avaient eue à Rhodes. Charles-Quint, prévoyant le parti qu’il pouvait tirer de leur organisation, au cas surtout où il entrerait en lutte avec les Musulmans, leur donna l’île de Malte et la principauté de Tripoli en toute propriété. Les Chevaliers de Rhodes, qui vont maintenant devenir les Chevaliers de Malte, après avoir séjourné, pendant près de deux années, dans les Etats du duc de Savoie à Villefranche et à Nice, transféreront définitivement à Malte la Compagnie entière de l’Ordre. Selon la décision du Grand Maître et du Conseil, le départ fut d’abord donné à quatre galères, qui quittèrent Nice le 18 juin, sous la direction du maréchal Gabriel du Chief. Tous les soldats et les habitants de Rhodes s’embarquèrent à Villefranche, sur les caraques et les autres navires. Dans la matinée du 12 juillet, en présence de Nicod de Beaufort, gouverneur du duc de Savoie, et des syndics de Nice, les Chevaliers et le Grand Maître assistèrent à une messe solennelle, devant l’image de la Vierge de Filermo, que l’Ordre avait rapporté de Rhodes, et dont ils laissèrent un retable, dans l’église de la Commanderie de Nice (aujourd’hui dans l’église Saint Barthélémy à Nice).

Le Grand Maître se rendit ensuite à la plage de Nice et, après avoir exprimé toute sa gratitude aux représentants du duc de Savoie pour les égards que Nice et Villefranche avaient eus envers l’Ordre, il s’embarqua sur la cinquième galère qui, sous la direction du Commandeur Bault de Luynes, se dirigea vers Villefranche. Là prirent la mer, sur la caraque neuve, les Chevaliers du Conseil et, le 18 juillet, jour de dimanche, les ancres furent levées. La flotte se dirigea vers la Sicile et arriva, après une heureuse traversée, à l’île de Malte, le 26 octobre : « con universale allegrezza di tutti giunsero a salvamento in Malta, mercoledi mattino a venti sei del mese di ottobre, dell’anno sopradotto mille cinquecento, e trenta a due hore di Sole »

La légende de Catherine Ségurane revisitée

Tout le XVI° siècle sera marqué par la lutte qui oppose la France à l’Espagne. Malgré la trêve de dix ans signée en 1538 au congrès de Nice entre Charles-Quint et François Ier, les hostilités ne tarderont pas à reprendre entre l’empereur et le roi de France. Ce dernier s’allie à Soliman le Magnifique. En juin 1543, une imposante flotte de galères franco-turques, emmenées par le célèbre corsaire Barberousse, met le siège devant Nice. La ville se rendit au troisième assaut, le 22 août 1543, après une héroïque résistance. Le château, lui, tiendra jusqu’à la retraite des forces ennemies et ne sera jamais pris.

Plus qu’à l’annonce de l’arrivée imminente de renforts espagnols et savoyards et surtout aux querelles de commandement entre les Français et les Turcs, les Niçois attribuent ce retrait de la flotte barbaresque à l’héroïque résistance de ses défenseurs et tout particulièrement de la célèbre mais légendaire Catherine Ségurane dont ils honorent aujourd’hui encore la mémoire. Mais c’est aussi grâce à leur chef, Paul Simeon de Balbs de Quiers, chevalier de l’ordre des Hospitaliers, que le château tiendra bon. Son histoire mérite d’être reprise ici, tant elle est significative de la foi et de la ténacité qui habitaient les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem dans leur lutte incessante contre les « infidèles ».

Parmi les îles du Dodécanèse, la plus septentrionale des îles du domaine des Hospitaliers était celle de Leros « dont le gouverneur étoit en 1506, raconte l’abbé de Vertot, un ancien chevalier de la Langue d’Italie qui, étant alors malade à l’extrémité, laissa le soin de la défense à un jeune chevalier piémontais à peine âgé de dix-huit ans, appelé Paul Simeoni… ». Le sultan Bayézid ayant décidé de razzier les îles de la religion, le corsaire Camali débarque à Leros 500 Turcs qui battent les murailles avec du canon et, finalement, y pratiquent une brèche par laquelle ils s’apprêtent à donner l’assaut. Sans s’affoler, malgré son jeune âge, Simeoni rassemble tous ceux qui s’étaient réfugiés au château, « même leurs femmes » - déjà, pourrions-nous ajouter -, les fait monter au rempart revêtus de la tenue de combat des chevaliers : la cotte d’armes rouge à manches courtes, barrée sur la poitrine et dans le dos d’une grande croix blanche. A leur vue, stupeur des Turcs qui, s’imaginant qu’un secours est arrivé durant la nuit, décampent précipitamment et se rembarquent de peur d’être pris au piège par les galères de Rhodes.

Vingt-six ans plus tard, Simeoni sera fait prisonnier par Barberousse et enfermé au bagne de Tunis avec 6.000 autres captifs chrétiens - 12.000, selon d’autres sources. En 1435, Charles-Quint décide d’attaquer Tunis. Il rassemble une armada de quatre cents navires, vingt-six mille fantassins et deux mille chevaux, et s’embarque à Barcelone le 2 juin 1535 pour arriver le 14 devant Tunis. Après s’être emparé du fort de La Goulette et le départ de Barberousse, il met le siège devant Tunis. C’est alors que Simeoni, ayant organisé la révolte des prisonniers, réussira à se faire ouvrir les portes du bagne et se rendra maître de la citadelle, non sans avoir hissé sur les remparts la bannière de l’Ordre, paralysant ainsi la défense et précipitant la reddition de la ville. Charles-Quint lui en saura gré, qui le félicitera en ces termes : « Messire chevalier et ami, je vous rends grâces de la courageuse résolution qui vous a amené à rompre vos chaînes, ce qui a rendu ma victoire plus facile et augmenté la gloire de l’Ordre. »

Toutes ces actions d’éclat valent à Paul Siméon d’accéder à la dignité de grand prieur de Lombardie.

Sept ans plus tard encore, s’étant mis « en congé de la Religion », il se met au service de son suzerain naturel, le duc de Savoie, qui lui confie, le 7 août 1543, et contre le même Barberousse, la défense du château de Nice. Nul doute qu’il y employa la même ruse qu’à Leros, en faisant monter sur les remparts du château tous les hommes qui s’y étaient réfugiés et « même leurs femmes », dont une certaine Catherine Séguran.

Il faudra attendre plus d’un an pour que la paix soit rétablie. Après la signature du Traité de Cagnes, le 16 novembre 1544, par lequel le roi de France renonce définitivement au comté de Nice, l’acte de restitution des terres occupées par les Français est ratifié le 6 décembre 1544 par Paul Siméon et Odinet de Montfort, « Gouverneur de Nice et toutes les Terres Neuves ». Disposant alors de financements, Paul Siméon entreprend de faire réparer et consolider les fortifications du château : Gioffredo écrit qu’en 1548, « on atteignit à la perfection des fortifications commencées de nombreuses années auparavant… » et une plaque de marbre, datée du 13 novembre 1548, célébra la fin des travaux de défense du château et de la ville haute. Travaux qu’il fallut cependant reprendre deux ans plus tard, en raison des progrès continuels de l’artillerie. Ce sera, comme nous l’apprend une étude récente de Mara de Candido, la tâche de l’ingénieur Gianmaria Olgiati qui aboutira à la réalisation d’une « chaîne de fortifications » englobant, outre le château de Nice, la citadelle de Villefranche, le fort du Mont-Alban et celui de Saint-Hospice.

Un grand maître niçois de l’Ordre de Malte : Jean-Paul Lascaris

Parmi les plus célèbres chevaliers niçois de l’Ordre, devenu Ordre de Malte, figure bien sûr Jean-Paul Lascaris, 57ème grand maître, de 1536 à 1657.

La famille Lascaris-Vintimille constituait une des plus illustres familles de la noblesse niçoise, descendant en ligne masculine des comtes de Vintimille. Guillaume-Pierre de Vintimille , ambassadeur de la République de Gênes à Constantinople, épousa en 1261 la princesse Eudoxie Lascaris, la plus jeune des filles de l’Empereur Théodore II Lascaris de Nicée, dont la fils Jean IV fut déchu par la nouvelle dynastie des Paléologue.

Les descendants de Guillaume-Pierre et d’Eudoxie Lascaris, en particulier les comtes de Tende et seigneurs de la Brigue, relevèrent le nom et les armes des Lascaris. Jean-Paul Lascaris appartenait à la branche des seigneurs de Castellar, issue d’un frère de Guillaume-Pierre. L’un de ses aïeux épousa Hilaria Lascaris, des seigneurs de la Brigue et adopta à son tour le nom et les armes des Lascaris.

Jean-Paul Lascaris, fils de Jeannet, coseigneur de Castellar et de sa cousine Francisquette, fille d’Augustin Lascaris, serait né le 28 juin 1560 à Nice ou bien, selon Toselli, à Castellar. Suivant l’exemple familial, il fut admis, en 1584, dans l’Ordre de Malte où deux de ses parents s’étaient déjà illustrés : François Lascaris-Vintmille, de la Langue d’Italie obtint pour celle-ci la prérogative du commandement des galères de l’Ordre, en 1524. Son oncle, Honoré Lascaris, fut commandeur de Nice puis gouverneur de l’île de Gozo où il mourut en 1639. Ce sont en tout une trentaine de Lascaris qui, du XVIe au XVIIIe siècle entrèrent dans l’Ordre de Malte, presque tous issus des branches de Castellar et de la Brigue.

Jean-Paul Lascaris, décrit comme intelligent et austère, nourri de bonnes études et de zèle religieux, fut tout d’abord préposé à l’administration des grains. Par la suite il fut prieur de Saint-Gilles et bailli de Manosque dans la Langue de Provence. A la mort du grand maître Antoine de Paule, le 11 juin 1636, il aspira à le remplacer et, le 13 juin , il fut élu 57ème grand-maître de l’Ordre.

Jean-Paul Lascaris est resté fort peu populaire dans la mémoire maltaise. Il a laissé le souvenir d’un souverain contrariant et entêté ainsi que la légende d’un personnage peu sympathique, exprimée encore de nos jours par le dicton populaire « vicc Lascaris » qui qualifie une physionomie peu avenante. Mais son magistère fut l’un des plus importants qu’ait connu l’Ordre pendant sa résidence à Malte, ne serait-ce que par sa durée de 21 ans. En particulier, il poursuivit méticuleusement l’œuvre de ses prédécesseurs en complétant la formidable ceinture de fortifications autour de La Valette et du grand port.

Le grand maître Lascaris n’oublia pas sa patrie niçoise. En 1639 il acheta pour 18000 écus les moulins et fours appartenant à la commune de Lucéram et en dota une nouvelle commanderie de « jus patronat », dite de Saint-Marguerite de Lucéram. Jusqu’en 1738, ses petits-neveux et arrière-petits-neveux, propriétaires du palais familial de la rue Droite, à Nice, furent les titulaires et usufruitiers de cette commanderie. En 1642, il envoya à la cathédrale Sainte-Réparate, par les soins de son neveu le maréchal de camp Jean-Baptiste Lascaris, les reliques d’un Saint-Vincent Martyr, enfermées dans une chasse d’ébène et d’argent. L’église paroissiale de Castellar et d’autres membres de sa famille bénéficièrent également de ses libéralités.

Après sa mort, survenue le 14 août 1657, son mausolée de l’église Saint-Jean-Baptiste, de La Valette, lui fut élevé par des chevaliers issus de sa parenté.

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